vendredi 7 août 2015

Le corps exquis de Poppy Z. Brite




Traduction : Jean-Daniel Brèque
Éditeur : J'ai Lu 
Collection : Nouvelle génération
288 pages

Accroche :
Andrew Compton s'évade de prison en se faisant passer pour mort. Réfugié aux U.S.A., à la Nouvelle-Orléans, il rencontre par hasard un autre prédateur, Jay Byrne. L'histoire d'amour qui va unir ces deux psychopathes cannibales et nécrophiles ne les empêchera pas de semer le désordre dans le statu quo ambiant et de laisser dans leur sillage une piste sanglante.
« Le corps exquis est un roman ambitieux, une troublante histoire d'amour. C'est probablement une des œuvres phares de ce que les Anglo-saxons ont accompli en littérature : donner des lettres de noblesse à leur culture underground. » Virginie Despendes.
« Poppy Brite est une sorcière de l'écriture : elle mélange dans un chaudron moderne des ingrédients dont l'assemblage, aujourd'hui, illustre notre fin de siècle par le biais de métaphore violente. » Marie Darrieussecq.




Mon avis :
On suit les destins croisés de 4 homos à la Nouvelle-Orléans. Tout d'abord le narrateur, Andrew, serial killer Anglais, puis Jay, héritier richissime, serial killer également, nécrophile et cannibale de surcroît. Tran, jeune et bel éphèbe d'origine vietnamienne qui est irrésistiblement attiré par Jay (dont il ignore tout des activités criminelles). Tran est également l'ancien amant du 4e personnage principal du roman, Luke dit Lush Rimbaud, écrivain et animateur d'une radio-pirate, qui se meurt du sida.
Andrew, dit l'hôte éternel par les médias britanniques, purge une peine de prison à vie pour les meurtres de vingt-trois jeunes hommes. Grâce au contrôle total de son corps et les techniques des fakirs, il parvient à simuler sa mort et s'évade de façon spectaculaire lors de son autopsie. Exquisite corpse, titre original qu'il aurait mieux valu traduire par Cadavre exquis, comme le jeu littéraire des Surréalistes, met en scène des personnages déjà morts qui se rencontrent et s'assemblent au gré du hasard, tels des mots étrangers, pour former la phrase macabre du destin. 
De son vivant, Andrew devait tuer et vivre avec des cadavres pour se sentir pleinement exister. Sa simulation de la mort, sa séropositivité, puis sa rencontre "amoureuse" avec Jay le font entrer pleinement dans la dimension mortuaire, avec point d'orgue le cannibalisme. De même, Jay n'est lui-même qu'au contact de cadavres qu'il assimile sexuellement et gastromiquement. Ainsi se laissera-t-il volontairement contaminer par le HIV (virus de l'immunodéficience humaine). Tran l'ignore, mais son attirance pour Jay l'a condamné à mort. Il finira atrocement assassiné par le couple de prédateurs et rien ne pourra le sauver, pas même l'intervention de Luke. Lui aussi atteint du sida, Luke est en bout de course. Écrivain qui ne parvient plus à écrire, malade, sentimentalement mort depuis sa rupture avec Jay, son chant du cygne, à la radio, n'est plus qu'une invective haineuse à l'encontre de la vie ; les femmes enceintes étant particulièrement sa cible.
Ce Cadavre exquis nous fait donc entrer pleinement dans l'univers mortuaire, dans la fascination pour des corps en décomposition, pour la destruction, une sexualité déviante qui ne débouche pas sur la procréation et la vie, mais l'horreur et la mort. Avec comme cadre une Nouvelle-Orléans underground qui sent le bayou, les marais, le foutre et le sang, les larmes et la souffrance. Car on suit principalement les affres des héros. Tran rejeté par sa famille, SDF gothique, en quête d'un amour qui débouchera sur son horrible trépas. Luke, malade, seul, drogué, n'est plus qu'un cri de désespoir. Andrew et Jay, amants fortunés, beaux et brillants, qui auraient tout pour être accomplir des vies magnifiques, ne peuvent jouir et être eux-mêmes que dans la destruction, la torture, la nécrophilie et le cannibalisme. 
Poppy Z. Brite nous fait entrer dans la tête, l'âme, la folie et le désespoir de ses personnages grâce à une écriture sans concession. Ses descriptions, son art de la mise en scène permettent une visualisation de l'action comme si on était présent. Réalistes, crues, poétiques et macabres, elles soulèvent le cœur. Voici un exemple dès les premières pages du livre où Andrew se livre au lecteur : « J'ai tué la plupart de mes vingt-trois garçons à l'arme blanche. En tranchant leurs artères principales au couteau ou au rasoir une fois qu'ils étaient assommés par l'alcool. Ce n'est pas par lâcheté ni pour éviter qu'ils se débattent que je procédais ainsi ; quoique je ne sois pas un athlète, j'aurais sans peine terrassé ces enfançons affamés et défoncés dans un combat loyal. Si je les ai tués de cette manière, c'est parce que j'appréciais la beauté qui parait alors leurs corps, les étincelants rubans de sang courant sur leur peau de velours, leurs muscles qui s'ouvraient en frémissant comme du beurre doux. J'en ai noyé deux dans ma baignoire, j'en ai étranglé un avec les lacets de ses propres Doc Martens tandis qu'il cuvait son alcool. Mais je les tuais surtout à coups de couteau. (...) J'aimais mes garçons tels qu'ils étaient, de grands poupons morts pourvus d'une ou de deux bouches supplémentaires à la salive cramoisie. Je les conservais auprès de moi pendant une bonne semaine, jusqu'à ce que l'odeur devienne trop perceptible. Le parfum de la mort ne me déplaisait pas. Il m'évoquait des fleurs coupées ayant trop longtemps séjourné dans une eau stagnante, une senteur lourde et maladive qui colle aux cloisons nasales et s'insinue au fond de la gorge à chaque souffle. » 
Poppy Z. Brite nous livre donc un Cadavre exquis particulièrement réussi, en mettant à nu la barbarie et l'horreur, cette dérive des corps qui n'ont plus aucune once d'humanité, de raison et de vie. Et où l'amour n'est qu'un prétexte à massacrer et détruire. Andrew et Jay sont des virus qui miment la vie pour mieux la capturer et la réduire au néant.


Quoi lire après ?
Sang d'encre, roman vampirique de Poppy Z. Brite ou Âme perdue, roman fantastique avec comme cadre une maison hantée.

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